En fin d’après-midi de cet été caniculaire, je me retrouve là à terre sous ce ciel bleu, meurtrie dans ma chair, sans vraiment comprendre ce qui m’arrive. Je vois bien que la situation est grave au nombre de personnes qui s’affairent autour et qui ne parlent plus que de moi. Gisant sur ce sol caillouteux et brûlant, je vois défiler le film de ma vie …
Je suis venue avec Jean dans ce maudit parc marseillais où je trépasserais certainement. Couchée à l’ombre de ces platanes que j’ai côtoyés si souvent, tous les jours depuis bientôt dix ans, entourée de presque toutes nos connaissances, je me souviens en vrac de moments de joie, de détresse, d’engueulades parfois. Notre histoire avait commencé dans un rayon de supermarché de La Valentine, alors que Jean avait laissé son épouse seule quelques instants. Nous étions là, avec mes deux sœurs, à attendre on ne sait trop quoi blotties les unes contre les autres, toujours inséparables.
Comme pour les Gibet, avec qui ma famille est pourtant en conflit depuis des générations, j’espérais tomber sur un bon gars, naturel, consciencieux, affectueux, qui saurait bien s’occuper de moi. Car depuis l’arrivée des Asiatiques, made in Taïwan ou Hong Kong, ce sont malheureusement bien elles qui connaissent le plus de succès auprès des « touristes » lorsque les beaux jours arrivent. De son œil expert, lui qui avait arpenté des heures durant tout l’hexagone, Jean avait tout de suite été séduit par ma couleur, mon gabarit et ma tendresse, différents de tout ce qu’il avait connu auparavant. Quand on est issue de cette grande famille comme moi, on a un certain standing à faire valoir même si certaines d’entre nous, surnommées les « grenades » ou les « tortues », moins lisses et plus agressives, ont tenté à un moment donné de se démarquer au détriment de toutes nos traditions. Pourtant, pour nous toutes les débuts ne sont jamais faciles, c’est toujours pareil : on nous impute les pires maladresses, on nous exploite un maximum, on nous sort quasi quotidiennement pour nous rendre plus maniables, plus polies, meilleures en quelque sorte. Nôtre destin, paraît-il !
A SUIVRE